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Sabah Blog
12 juin 2008

L’éditorial, Geôlier de la parole de presse

Par Hammoud El Zeloukh

L’éditorial est l’article de presse auquel il est communément conféré le rôle d’exprimer l’orientation générale du journal dans lequel il apparaît. La première fonction qui lui serait reconnue et au premier chef par son instance énonciatrice déclarée (le journal en tant qu’institution) est donc de manifester les principes qui fondent l’activité déployée par la publication.
L’ensemble de ces principes constituent la « ligne éditoriale », cadre général censé déterminer le rapport du journal au monde, à la réalité dont celui-ci s’estime le rapporteur. La ligne éditoriale fonde et est fondée sur un ensemble de prises de position vis-à-vis des repères socioculturels, idéologiques et politiques du contexte socio-historique. Contexte où s’inscrivent les différentes instances d’élaboration de l’éditorial, en tant que production soumise à une idéologie déterminée. L’éditorial, lieu d’explicitation, en fait voulu comme tel, des options du titre, à travers leur actualisation, sous forme de jugements portés sur l’actualité, se présente comme le discours revendiqué par l’instance « journal » sur l’« événement objet ». L’événement isolé du récit de son procès, celui-ci pris en charge par les articles « informationnels », est prétexte à la production d’un discours qui l’insère dans une grille d’interprétation donnée.
En cela, l’éditorial va assumer deux fonctions, en l’occurrence une fonction d’information et une fonction de cohésion. Au plan de la fonction d’information, l’éditorial apporte des informations en rendant les lecteurs destinataires d’une somme d’éléments relatifs à l’événement, au journal en tant qu’instance énonciative et au contexte dans lequel ils s’inscrivent.
En ce qui concerne l’événement, l’éditorial l’isole de son contexte textuel premier, en l’article informationnel, qui dresse le procès de l’événement dans sa singularité temporelle, spatiale, actionnelle, etc. L’éditorial ne rapporte qu’une contraction de l’événement réduit à un « faire » ou à un « dire ». L’événement n’est plus une suite complète et autonome, mais simple séquence située sur l’axe de l’événementiel. Séquence mise désormais en relation avec une vision du monde, avec un discours idéologique, par les incidences qu’on lui prête sur la réalité conjoncturelle. L’événement est à ce titre réduit, modélisé, standardisé, bref « incarcéré avec tenue rayée et numéro pénitentiaires ». Ainsi nous autres lecteurs aurons à fréquenter les parloirs éditoriaux, pour rendre visite à l’événement dans ses tenants et aboutissants, voilà un moyen bien coercitif d’avoir des explications sur « ce qui arrive ». L’éditorial, c’est même la raison déclarée de son existence, apporte certes des informations sur les motivations qui animent le journal et qui déterminent son rapport à l’information censée être le présent du monde ; mais ces motivations qui se donnent à lire indirectement et de manière implicite, à travers l’approche qu’il fait de la réalité dans la conjoncture de l’événement, n’affirment pas clairement les déterminations premières qui, elles, sont d’ordre idéologique, politique et mercantile... et c’est bien le comble pour un lieu d’explicitation, qui n’est en fait qu’un trompe-l’oeil.
Quant à la fonction de cohésion, elle s’articule autour de trois axes, participant tous du travestissement totalitariste :

  • Le journal lui-même, en assujettissant tous les discours proposés à une perspective centrale unique : la bien nommée ligne éditoriale.

  • La réalité, à travers l’événement, en insérant celui-ci dans un discours « sur » la réalité, en proposant une lecture homogène conforme aux critères socioculturels, idéologiques et économiques préétablis.

  • L’idéologie dominante que l’éditorial contribue à renforcer, en l’actualisant dans un discours d’auto-justification pseudo argumentatif.
  • Et c’est ainsi que notre Cicerone journalistique s’avère n’être que le geôlier de la parole de presse et partant de notre esprit. Gare donc à l’éditorial et à son trousseau de « clefs ».


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